Au fil de ses chansons, Alice on the Roof dévoile une capacité rare à transformer ses fragilités en véritables forces créatives. Figure désormais incontournable de la nouvelle scène belge, elle séduit par sa sincérité désarmante et son image d’artiste authentique, parfois en léger décalage avec le tumulte du monde qui l’entoure. Chez elle, la rupture amoureuse ne se dévore pas discrètement : elle s’inscrit dans le corps, dans l’appétit, dans le besoin de consolation qui s’exprime aussi bien dans les paroles que dans une célébration culinaire impromptue. Son dernier album, composé entièrement en français, explore cette douleur émotionnelle avec délicatesse, mêlant auto-dérision et expression poétique puissante. Entre souvenirs de peine de cœur et gaufres avalées à la chaîne, l’artiste trace le récit touchant d’une quête d’équilibre, où chaque mot pèse aussi lourd que l’intime festin d’un soir de chagrin.
Alice on the Roof : du malaise adolescent à l’éclosion d’une figure de la scène belge
L’ascension d’Alice on the Roof est indissociable des tourments qui ont jalonné ses jeunes années. Née Alice Dutoit, elle évolue dans un environnement propice à la créativité, avec une mère architecte et un père chercheur en intelligence artificielle. Cet ancrage familial laisse pourtant place, dès l’adolescence, à un sentiment d’arythmie mondaine, un léger flottement dans la vie sociale et dans les routines du quotidien. À quinze ans, à l’heure où d’autres construisent des souvenirs insouciants, Alice doit composer avec ce sentiment d’être à côté, autant dans l’expression de ses émotions qu’autour de la table.
Cette tension se cristallise autour de la question alimentaire : après une rupture amoureuse marquante, la jeune artiste se tourne vers la nourriture, « troquant une seule gaufre contre cinq pour noyer ses peines ». Cet épisode n’a rien d’anecdotique : il témoigne d’une forme de consolation toute personnelle, où l’acte de manger devient le reflet d’une douleur émotionnelle difficilement verbalisable. Rapidement, cette dynamique s’installe et dure trois longues années, imprégnant ses souvenirs d’adolescente d’un arrière-goût à la fois sucré et mélancolique.
Cependant, ce n’est pas la fatalité qui définit Alice on the Roof, mais bien sa capacité à se relever et à sublimer ses expériences douloureuses. Lorsqu’elle participe à « The Voice Belgique », forte de son amour pour Abba, Kate Bush ou Claude François, elle séduit par sa fragilité assumée et un charisme discret qui la propulse sur le devant de la scène. Son élimination en demi-finale n’entrave en rien son parcours : elle signe peu après avec une maison de disques, inaugurant une nouvelle étape dans sa vie, où les mots comme les notes deviennent des outils de résilience.
À travers ses premiers titres, écrits alors en anglais, Alice aborde sans détours ses doutes et ses failles, bien que « lorsqu’on chante dans la langue de Shakespeare, le sens des paroles se dissout parfois derrière la mélodie ». Ce choix de langue traduit aussi une forme de pudeur, une manière de garder à distance ce qui blesse, tout en invitant l’auditeur à éprouver, par touches successives, l’étendue de sa sensibilité.
En Belgique, le public s’attache à ce personnage un peu gauche et rêveur, aussi à l’aise sur la scène de Forest National devant 7 000 fans qu’au détour d’une confidence sur ses difficultés passées. Cette authenticité, rare dans un paysage musical de plus en plus normé, fait d’Alice on the Roof une voix singulière, l’incarnation même d’une jeunesse qui cherche à comprendre ses propres paradoxes. Très rapidement, elle devient le symbole d’une génération qui assume les failles autant que les succès, n’hésitant pas à parler de peine de cœur ou de ses stratégies parfois maladroites pour apaiser la douleur.
Cette trajectoire, marquée par la lucidité et l’humour, pave la voie pour un nouvel album qui va bouleverser non seulement la manière dont Alice écrit, mais aussi la façon dont elle partage ses émotions les plus viscérales avec le public francophone.
Du chant anglais au chant français : mutation artistique et expression poétique de la douleur
La carrière d’Alice on the Roof bascule véritablement lorsque, confrontée à la pandémie et à la fin de son précédent contrat discographique, elle choisit d’abandonner l’anglais pour écrire et chanter en français. Ce passage n’est pas seulement une évolution linguistique : c’est une révolution intérieure. Elle trouve dans sa langue natale une façon plus honnête et directe de parler de la douleur émotionnelle, de la peine de cœur et des stratégies maladroites pour s’en sortir.
L’album « Alice », fruit de cette transition, marque une étape charnière. Produit par Albin de la Simone, il mélange confessions crues et recherche de grâce mélodique. Les chansons y deviennent le terrain d’un deuil amoureux décliné sous toutes ses formes : du regret lancinant dans « Comme je t’ai aimé » à la distance prise par le temps, chaque texte est une tentative pour transformer la blessure en lumière. La célébration culinaire, omniprésente dans la légende des cinq gaufres englouties en guise de consolation, se fait métaphore universelle d’un refuge doux-amer face au tumulte intérieur.
La chanson en français donne à Alice l’occasion d’élargir sa palette, d’oser aborder des sujets qu’elle taisait jusque-là dans sa vie quotidienne. Le titre « 15 ans » plonge dans l’adolescence tourmentée, tandis que « Miroir, miroir » aborde la question épineuse des réseaux sociaux et du regard sur soi. Une reprise d’Anne Sylvestre, en duo avec Catherine Ringer, inscrit cet opus dans une filiation féminine et délicate, rendant hommage aussi bien à la chanson française classique qu’aux voix contemporaines qui osent parler des failles avec franchise.
Le choix du français change fondamentalement la réception de sa musique. Là où, en anglais, les mots pouvaient effleurer sans vraiment heurter, en français l’intensité de l’émotion s’impose, devient impossible à éluder. Le public se sent interpellé, invité à plonger dans ce bain d’authenticité, à ressentir, voire à partager, cette forme de consolation poétique, où la saveur du chagrin se mêle à celle du réconfort.
Le passage à la langue française n’est pas sans risque pour une artiste qui s’est d’abord fait connaître dans un autre idiome. Mais Alice assume ce changement, défendant l’idée que la musique doit rester un espace de liberté, de prise de risque, et d’exploration de territoires émotionnels nouveaux. Ce choix s’avère payant, puisque l’album « Alice » suscite un enthousiasme critique et public, confirmant que l’expression poétique des émotions les plus intimes trouve toujours son public quand elle est servie avec une sincérité sans détour.
Cet ancrage dans la chanson française ne signifie pas pour autant l’oubli du passé : il s’agit plutôt d’une suite logique, d’une maturation artistique, où chaque mot, chaque note, semble tissé pour faire vibrer à la fois la mémoire et la promesse d’un renouveau.
Le deuil amoureux et la consolation : entre peine de cœur et célébration culinaire
Au cœur de son univers, le thème du deuil amoureux s’entrelace avec des gestes familiers et des rituels du quotidien, tel celui de la nourriture devenue rempart contre la tristesse. « Après une rupture, j’ai troqué une seule gaufre contre cinq pour noyer mes peines » : derrière cette phrase se cache un mécanisme profondément humain, celui de chercher refuge dans la consolation immédiate, ici sous la forme d’une célébration culinaire détournée.
Ce besoin de “faire le plein”, de combler le vide laissé par une séparation, trouve une résonance forte dans l’expérience de nombreux auditeurs. La gaufre, symbolique en Belgique, devient bien plus qu’une gourmandise locale : elle s’élève au rang de complice silencieuse des soirs de chagrin, confidente moelleuse d’une âme écorchée. La peine de cœur devient alors le prétexte à un festin aussi salutaire que coupable, scellant l’alliance trouble entre douleur émotionnelle et recherche de réconfort.
En racontant cette anecdote, Alice on the Roof tisse un lien étroit entre son vécu et celui du public, illustrant à merveille la complexité du processus de deuil amoureux. La douleur ne s’évacue pas du jour au lendemain ; elle s’insinue dans les gestes les plus banals, dans le rapport à la table, dans l’équilibre parfois précaire entre gourmandise et culpabilité. Loin de s’en cacher, l’artiste suggère que la consolation prend parfois des formes inattendues, qu’un excès assumé – comme avaler cinq gaufres au lieu d’une – peut contribuer à l’autoguérison, à condition d’être regardé avec tendresse.
Ce parallèle entre la célébration culinaire et la reconstruction après une rupture nourrit un imaginaire collectif où la nourriture devient vecteur d’apaisement autant que de mémoire. La chanson française, dans laquelle s’inscrit Alice on the Roof, s’est souvent emparée de ces images : de la madeleine de Proust aux petits plats mitonnés pour oublier un amour disparu, la bouffe se fait langage, miroir du cœur.
Pour autant, l’artiste ne tombe jamais dans l’apologie de l’excès : elle fait de son expérience une matière première artistique, un matériau pour explorer avec lucidité la frontière entre consolation ludique et fuite en avant. En rendant hommage à cette dimension organique du chagrin, elle offre à ses fans une forme de permission à l’imperfection, rappelant que le deuil amoureux n’est pas linéaire et que chaque moyen de le traverser mérite d’être célébré, ou du moins entendu.
Cet équilibre entre réalisme cru et humour tendre irrigue tout son troisième album, qui fait la part belle à ces “petites hontes” que l’on transforme en trophées, à ces travers que l’expression poétique permet de sublimer au lieu de cacher.
Réseaux sociaux, complexes et affirmation de soi : Alice on the Roof face au miroir numérique
Si Alice on the Roof consacre une partie de ses chansons à l’exploration de la douleur intime, elle ne se prive pas d’investir également le terrain plus large des réseaux sociaux et du regard sur soi. Dans un monde où chaque émotion fait l’objet d’un partage ou d’une critique en temps réel, traverser une rupture amoureuse ou exprimer sa vulnérabilité devient un acte exposé, sujet à la validation comme au rejet public.
Alice avoue suivre avec attention les commentaires sur ses réseaux sociaux, s’exposant à la fois à la bienveillance et à la cruauté d’inconnus. Elle le reconnaît : « les réseaux sociaux me filent des complexes ». Plusieurs chansons de son dernier album, à l’instar de « Miroir, miroir », abordent ce rapport complexe au reflet virtuel, où l’on traque la moindre faille comme un échec, où la peine de cœur se double d’une forme de compétition silencieuse en ligne.
Ce rapport ambivalent à l’image, au corps, à l’authenticité, est symptomatique de la génération à laquelle Alice appartient : une génération qui doit apprendre à exister sous des dizaines de filtres, à défendre sa différence tout en cherchant l’approbation de ses pairs. L’artiste n’hésite plus à évoquer ses propres complexes, à sourire de son sentiment d’être « totalement à côté de la plaque » lorsqu’elle se compare à d’autres figures publiques du même âge.
Ce regard sans concession sur elle-même trouve un écho chez les fans, nombreux à saluer sa capacité à transformer la honte en force, le doute en tremplin créatif. Pour Alice, la chanson devient ainsi un espace de revendication, de lutte douce contre l’injonction à la perfection qui règne sur Instagram, Facebook ou TikTok. En osant parler de ses douleurs, de ses excès, de ses fragilités, elle ouvre une brèche salutaire et invite chacun à s’aimer sans condition.
Ce texte n’invite pas à une déconnexion totale, mais propose une forme de prise de recul lucide, une façon d’affirmer que la douleur émotionnelle ne saurait être jugée sur la place publique. L’exemple d’Alice on the Roof rappelle que l’affirmation de soi peut aussi passer par la scène, par la parole, par l’humour, transformant chaque moment de vulnérabilité en occasion de grandir et de fédérer autour de valeurs communes.
En cultivant ce rapport direct avec son public, tant lors de ses concerts à Paris ou Bruxelles que sur les réseaux, elle pose les bases d’une nouvelle forme de dialogue entre artiste et fans, où la sincérité et l’entraide ont enfin leur place.
L’album « Alice » : entre héritage, collaborations et exploration du deuil amoureux
Le troisième album d’Alice on the Roof, sobrement intitulé « Alice », apparaît comme une véritable mise à nu artistique. Il est le fruit d’une maturation, d’un cheminement personnel qui puise aussi bien dans les blessures du passé que dans une quête de reconnaissance identitaire. Porté par la production subtile d’Albin de la Simone, l’opus regroupe des morceaux ancrés dans la tradition du chant français tout en s’ouvrant résolument à la modernité.
Parmi les moments forts du disque figurent des collaborations marquantes, notamment un duo émouvant avec Catherine Ringer sur une reprise d’Anne Sylvestre, référence tutélaire de la chanson hexagonale et idole de la propre mère d’Alice. Cet hommage traverse le disque telle une veine souterraine, rappelant que la musique est également histoire de transmission, d’autorisations silencieuses accordées de mère en fille, de génération en génération.
Les thèmes abordés – séparation, adolescence troublée, réseaux sociaux, remise en question – s’entrelacent dans une alchimie fragile, portée par une voix à la fois enfantine et grave, qui semble toujours en quête du mot juste pour nommer le mal, ou la tendresse, du siècle. La célébration culinaire, dont les gaufres deviennent l’étendard, trouve elle aussi une déclinaison musicale dans ces chansons où la peine de cœur n’exclut ni le second degré, ni la gourmandise.
La réussite de l’album tient aussi à sa capacité d’évocation : chaque titre, en donnant chair à la douleur émotionnelle, permet à l’auditeur de se reconnaître, de trouver sa propre consolation dans les mots et les images tissés par Alice on the Roof. Les concerts prévus en 2026, notamment à l’Européen à Paris, promettent d’accentuer cette communion, cette manière de célébrer en direct le pouvoir réconfortant de la musique et la beauté de l’authenticité.
L’artiste n’oublie pas, pour autant, de cultiver sa différence, de rappeler que le deuil amoureux n’est pas une affaire linéaire : il se traverse en chansons, en anecdotes drôles ou poignantes, en gaufres partagées ou avalées en solitaire. Son engagement à raconter « ce dont on ne parle pas dans la vie de tous les jours » colore chaque refrain, chaque couplet, donnant au disque une dimension universelle et salvatrice.
Dans ce nouvel opus, Alice on the Roof offre au public une invitation à l’acceptation de soi, à l’écoute de ses besoins, montrant que la consolation peut se trouver dans la beauté d’une note, l’émotion d’un souvenir ou la douceur poétique d’une gaufre dégustée à l’abri des regards.