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Conflit en Ukraine : des déplacés du Donbass entre abris précaires et incertitudes de l’avenir

Ils fuient sous le grondement des bombes, chargés de sacs et d’angoisse, traversant un Donbass ravagé où l’avenir s’efface sous la brutalité des combats. À chaque évacuation, de nouvelles familles quittent précipitamment leurs quartiers, perdant tout repère, privés d’eau, d’électricité, et souvent du simple droit au repos. Les abris précaires, les centres d’accueil surchargés, deviennent parfois la seule promesse d’un lendemain, incertain et fragile. Halyna, 74 ans, n’a cédé à l’exode qu’après la chute d’une bombe planante dans sa rue, frôlant la mort avec son fils handicapé, et marchant des kilomètres, guidée plus par la générosité d’inconnus que par la certitude de trouver un asile. À Pavlohrad ou Dnipro, aux portes de la guerre, l’espoir prend souvent le visage silencieux d’un enfant, d’un vieillard, ou d’un bénévole épuisé mais tenace. Les ONG comme la Croix-Rouge française, Médecins Sans Frontières et l’UNICEF France tentent de panser les blessures, d’offrir soutien et protection, tandis que l’incertitude reste tenace : la paix tarde à venir, la diplomatie piétine. Pour beaucoup, la seule boussole reste le rêve d’un retour impossible ou la résignation à un nouveau foyer. Le Donbass, lentement, s’abandonne à l’exil.

Fuir le Donbass : une mécanique d’exode sous la menace permanente

Rarement une population n’a été exposée à une telle mécanique de fuite et de survie. Dans les régions du Donbass particulièrement affectées par la guerre, les évacuations obligatoires sont souvent la réponse aux offensives russes qui, en franchissant la ligne de front, condamnent des villes entières à l’abandon. Depuis les directives données par les autorités ukrainiennes, sur une bande de dix kilomètres autour du front, les habitants reçoivent l’ordre de quitter immédiatement les lieux, parfois sans même savoir où ils pourront trouver refuge.

Pour Halyna Kozoroh, comme pour tant d’autres, cette décision ne s’est imposée qu’après les ultimes déflagrations. Privée d’électricité, d’eau courante et de communications, elle avait résisté presque deux ans dans sa ruelle de Myrnohrad, soutenue par la solidarité du voisinage. Mais lorsqu’une bombe s’abat chez une proche, soufflant murs et toitures, l’idée de rester n’est plus qu’une forme de suicide lent. Elle entreprend alors sa fuite à pied, son fils handicapé tâchant de suivre malgré la fatigue, le bruit menaçant des drones les accompagnant tout au long de leur exil improvisé. La générosité inattendue de certains riverains, offrant un abri de fortune ou une assiette chaude, devient alors l’unique filet de sécurité pour ces rescapés en transit.

Ce mécanisme de fuite n’est jamais linéaire. Les chemins sont semés d’incertitudes et d’obstacles, ponctués par des contrôles militaires, des poches d’insécurité et la nécessité d’éviter les routes trop exposées au feu. Souvent, des familles entières marchent de village en village, s’arrêtant dans des maisons désertées, parfois sans fenêtres ni chauffage, acceptant toute forme de précarité tant qu’elle leur assure un répit. L’expérience d’exode, dans ces conditions, dépasse la simple errance : elle devient un acte de survie, où l’on compte chaque geste, chaque miette de pain, chaque sourire compatissant d’un inconnu.

Les témoignages recueillis dans les centres d’accueil à Pavlohrad traduisent le même sentiment d’urgence et l’angoisse de l’inconnu. Les abris, qu’ils soient gérés par Action contre la Faim, la Fondation Abbé Pierre ou France Terre d’Asile, ont dû s’adapter à ce flux continu de réfugiés, souvent avec des moyens limités. Les familles arrivant de Pokrovsk, de Kostiantynivka ou des villages environnants décrivent la même scène : bagages improvisés, enfants inquiets, vieillards épuisés, et l’impossibilité de trouver une nouvelle normalité. Pour beaucoup, la fuite n’est pas achevée tant qu’ils n’ont pas retrouvé une part de dignité perdue en chemin.

La suite des trajectoires se joue hors de tout plan préétabli. Certains déplacés, n’ayant pas trouvé place dans les centres d’accueil organisés, sont contraints de revenir vers les zones proches de la ligne de front, faute de solution meilleure. Des quartiers désormais fantômes sont ainsi investis à nouveau par des familles qui prennent tous les risques pour échapper à une misère pire encore dans leur exil. Ainsi, la mécanique d’exode du Donbass dessine une géographie mouvante, faite d’allers-retours, d’abandons, mais aussi, parfois, de retours désespérés vers les ruines de ce qui fut jadis un foyer.

Ce phénomène, loin de s’essouffler, s’accentue face à la poursuite du conflit. Entre l’urgence de la fuite et l’épuisement des ressources d’accueil, tout l’enjeu pour les déplacés est de retrouver, coûte que coûte, une terre où reconstruire un semblant de vie. La question de l’avenir, encore plus aiguë, fait basculer les discussions vers la thématique de l’incertitude et de la réinsertion, qui fera l’objet de la prochaine partie.

L’abri précaire : réalités douloureuses et lutte quotidienne pour la vie

Les centres d’accueil, de Dnipro à Pavlohrad, incarnent à la fois le soulagement immédiat d’avoir échappé aux combats et la cruelle réalité d’une précarité durable. Dès leur arrivée, les familles découvrent un accueil souvent saturé. Les chambres collectives s’entassent dans des écoles désaffectées, des complexes sportifs ou des bâtiments administratifs réaménagés à la hâte. Les nuits se font courtes sur des matelas au confort sommaire, et l’absence d’intimité accentue la vulnérabilité, surtout pour les femmes et les enfants.

Certaines organisations humanitaires comme la Croix-Rouge française jouent un rôle déterminant dans la distribution de kits d’urgence et de vivres. Par ailleurs, Médecins Sans Frontières assure une présence médicale, essentielle pour traiter les traumatismes physiques mais aussi psychiques. Dans les files d’attente pour la soupe chaude ou la visite chez le psychologue, les histoires se recoupent : malnutrition, maladies chroniques négligées, anxiété incontrôlable chez les enfants, apathie chez les plus âgés.

L’effort de structure entrepris par Action contre la Faim et SOS Villages d’Enfants vise à garantir des repas quotidiens équilibrés et des espaces sécurisés pour les plus jeunes. Mais l’engorgement des centres pousse certains déplacés vers des solutions encore plus précaires : garages, caves, maisons inachevées. Mirek, bénévole de la Fondation Abbé Pierre depuis l’hiver 2024, rapporte parfois devoir construire avec ses équipes des installations rudimentaires, dont la durée de vie excède rarement quelques mois, rongées par l’humidité et l’insécurité permanente.

Les traumatismes liés à l’exil se révèlent aussi dans la routine du quotidien : rationnement de l’eau, accès limité à l’hygiène, insomnies persistantes. Les associations comme Care France et Secours Catholique déploient alors des dispositifs pour soutenir la parentalité, proposer des activités scolaires ou psychosociales et reconstituer un minimum de lien social. Pourtant, à la tombée de la nuit, les réfugiés confrontés à la promiscuité doivent aussi affronter l’angoisse de l’après, la peur de devoir repartir, de tout perdre une deuxième fois.

L’hiver dans ces abris précaires accentue encore la détresse. Le chauffage d’appoint ne suffit pas, les épidémies de grippe deviennent monnaie courante et la lutte contre la déprime hivernale mobilise toutes les énergies. UNICEF France, en lien avec des psychologues locaux, organise des ateliers pour enfants et adolescents afin de transformer les centres en lieux d’écoute et d’attention, mais les ressources manquent cruellement. Pour chaque abri ouvert, d’autres restent inaccessibles, faute de logistique ou d’aides suffisamment pérennes.

C’est dans ce contexte que la question de la résilience prend tout son sens. Si l’entraide et le volontariat dessinent quelques îlots d’espoir, la plupart des déplacés doivent inventer leur présent à chaque lever du jour. Dans l’ombre de ces abris précaires, la survie ne se limite pas à la subsistance, mais s’étend à la sauvegarde de la dignité et à la reconstruction psychologique, pierre après pierre.

La précarité de l’hébergement étant loin d’être réglée, le défi de l’avenir reste entier, catalysant espoirs et frustrations dans le récit quotidien des déplacés.

L’incertitude de l’avenir : entre attentes, renoncements et quête de sens

Dans la trajectoire d’un déplacement aussi brutal, chaque journée est une confrontation avec l’incertitude. L’avenir s’apparente souvent à un jeu de patience où les décisions se prennent au jour le jour, à la lumière d’informations partielles et de rumeurs anxiogènes. Une même question recouvre tous les débats dans les centres d’accueil : doit-on rêver d’un retour, ou bien s’enraciner ailleurs, même à contrecœur ? Beaucoup confient qu’ils se sont résignés à ne jamais revoir leur maison, tandis que d’autres entretiennent encore en secret le fantasme d’un retour possible dès les premiers signes de répit militaire ou diplomatique.

Les autorités tentent d’orienter les réfugiés vers une perspective de stabilisation, en organisant des programmes de relogement ou d’intégration dans de nouvelles régions. France Terre d’Asile, en partenariat avec la Cimade, œuvre à trouver des logements dans des villes de l’ouest ukrainien, transformant parfois un lieu de refuge temporaire en un début de foyer durable. Pourtant, l’intégration demeure difficile : barrière de la langue pour certains, adaptation culturelle, discrimination, isolement social, difficultés d’accès à l’emploi.

Les enfants, qui constituaient autrefois la promesse d’un avenir bright, s’enfoncent pour beaucoup dans des troubles anxieux ou des parcours scolaires hachés. Les associations comme SOS Villages d’Enfants et UNICEF France multiplient les initiatives pour maintenir la scolarisation, offrir des séances de soutien psychologique et recréer un semblant de quotidien. Mais la promesse d’un avenir stable reste soumise au bon vouloir du contexte géopolitique, qui bloque tout espoir de retour dans l’immédiat.

Le paradoxe, pour nombre de déplacés, est d’apprendre à reconstruire sa vie tout en laissant la porte ouverte à une hypothétique reprise du Donbass par les forces ukrainiennes. Certains, comme Tetiana, 53 ans, installée à Lviv depuis plus de deux ans, avouent avoir aménagé leur appartement tout en gardant une valise prête au départ, au cas où la paix leur permettrait de rentrer. Cette double vie, à cheval sur le provisoire et le définitif, exprime toute la complexité d’un exil non choisi.

Le sentiment d’enracinement, ou de déracinement, se cristallise aussi dans la dynamique communautaire. Les réseaux d’entraide se reforment, parfois entre inconnus qui partagent le même village d’origine, parfois entre réfugiés et autochtones accueillants. Ces liens sont cependant fragiles, soumis à la fatigue morale et matérielle de l’exode prolongé. Le long des files d’attente ou dans les classes improvisées, l’espoir voisine avec la lassitude, et rares sont ceux qui ne ressentent pas, par moments, la tentation du renoncement.

Plusieurs ONG, à l’image de Care France ou du Secours Catholique, tentent de maintenir une dynamique de projet, en offrant des formations, des ateliers d’expression artistique ou des micro-crédits pour relancer de petites initiatives économiques. Mais c’est la reconstruction identitaire, intime et communautaire, qui s’annonce comme le plus long chantier, bien au-delà de la fin du conflit. L’incertitude, paradoxalement, force chacun à réinventer sa façon de vivre et de rêver, loin des repères anciens.

Loin de se résumer à une simple question de territoire, la situation des déplacés du Donbass révèle toute la complexité d’un conflit qui, dans le sillage de la guerre, multiplie les défis humains, sociaux et psychologiques. Le prochain aspect à explorer concerne la mobilisation des acteurs humanitaires, et la façon dont ils composent, chaque jour, avec les limites de leurs moyens face à l’ampleur du désastre.

Les ONG en première ligne : un rempart essentiel contre la dérive humanitaire

Face à la multiplication des déplacés et l’engorgement des structures publiques, les ONG françaises et internationales déploient des moyens colossaux pour contenir la crise. La Croix-Rouge française coordonne avec la Croix-Rouge ukrainienne la distribution de kits de première nécessité, la gestion des stocks alimentaires et l’aménagement d’abris temporaires. Il s’agit d’agir vite, alors que le flux croissant de réfugiés rend chaque jour plus aigu le besoin de solutions adaptées.

Médecins Sans Frontières gère des cliniques mobiles et des unités de soins d’urgence, organisant des rotations entre les différents centres d’accueil pour garantir la continuité des traitements pour les personnes atteintes de maladies chroniques ou d’affections post-traumatiques. Le renouveau des maladies infectieuses, facilité par la promiscuité et le manque d’hygiène, oblige à des campagnes de vaccination massives et à des actions de sensibilisation menées conjointement avec l’UNICEF France.

Au-delà de l’urgence, l’action des organisations comme Action contre la Faim et Care France touche aussi à l’éducation nutritionnelle et au développement de filières locales de solidarité, par exemple la formation de femmes déplacées à la gestion de cantines collectives. France Terre d’Asile, épaulée par la Cimade, consacre son énergie à l’accompagnement administratif et légal des candidats à la relocalisation, alors que les démarches sont souvent complexes, lentes et anxiogènes pour des populations profondément déstabilisées.

Parallèlement, le Secours Catholique et la Fondation Abbé Pierre redoublent d’efforts pour contenir la spirale de l’exclusion sociale. Ils proposent des ateliers de réinsertion professionnelle, des activités pour les jeunes, ainsi que des espaces de parole visant à panser, autant que possible, les blessures invisibles du déracinement. SOS Villages d’Enfants, quant à elle, invente des solutions pour la prise en charge des orphelins et des familles monoparentales, offrant un cadre protecteur qui va souvent bien au-delà de la seule assistance matérielle.

L’efficacité de ces dispositifs, cependant, dépend du bon fonctionnement d’une chaîne de bénévolat et de partenariats internationaux. L’insécurité sur le terrain, la destruction des infrastructures logistiques et la fatigue cumulative des équipes humanitaires ajoutent à la complexité de la tâche. Mais ces défis n’altèrent pas la détermination collective à sauvegarder le minimum de dignité pour les déplacés du Donbass. Parmi les témoignages recueillis, nombreux sont ceux qui saluent l’implication des volontaires, qui font souvent la différence entre la détresse et la résistance au désespoir.

L’action coordonnée de ces ONG ouvre aussi des perspectives de coopération à long terme, posant les bases d’une solidarité susceptible de perdurer au-delà du retour à la paix, et portant ainsi l’espoir d’un avenir plus inclusif et réparateur pour toutes les populations affectées par le conflit.

La mobilisation humanitaire, si elle ne résout pas tout, incarne la capacité collective à répondre à la catastrophe par l’entraide. Elle prépare également le terrain pour les multiples défis de la reconstruction, qui constituent la prochaine étape du combat pour la dignité des déplacés.

Reconstruire une vie : démarches, espoirs et obstacles pour les déplacés du Donbass

La perte du foyer, la séparation d’avec ses proches et la fuite devant la guerre inscrivent une rupture brutale dans les trajectoires des déplacés du Donbass. Pourtant, la reconstruction d’une vie, au-delà de l’urgence, devient très tôt une nécessité. Les parcours s’entrecroisent à Pavlohrad, Dnipro, Lviv ou plus loin encore, dans des régions où l’exil n’était d’abord qu’un point de passage avant de devenir une réalité durable.

L’accès à des démarches administratives simples représente un défi gigantesque. Nombre d’Ukrainiens déplacés ne disposent pas de toutes les pièces nécessaires à l’obtention d’un logement ou d’un emploi. France Terre d’Asile intervient pour aider à la constitution de dossiers, tandis que la Cimade organise des permanences juridiques accessibles à tous. Les difficultés s’accentuent pour les personnes âgées, les personnes handicapées ou les familles monoparentales, souvent confrontées à la lenteur des procédures et au poids des discriminations.

L’une des priorités est l’intégration des enfants dans un nouveau cursus scolaire. La reprise de la vie éducative est essentielle pour garantir stabilité et repères. Des classes spéciales sont organisées dans les abris, dans l’attente d’une inscription définitive. UNICEF France et SOS Villages d’Enfants proposent des programmes de rattrapage scolaire, des activités sportives et de loisirs pour aider les jeunes à surmonter le sentiment d’errance et de perte.

L’angoisse du lendemain, toutefois, continue de miner l’espoir des adultes. De nombreux déplacés évoquent la crainte de ne pas pouvoir retrouver une activité professionnelle à la hauteur de leur qualification, ou de devoir accepter des emplois précaires mal rémunérés. Action contre la Faim et Care France offrent des ateliers de formation et d’orientation, mais la réalité économique reste difficile dans une société elle-même fragilisée par la guerre prolongée.

Il existe cependant des histoires d’adaptation et de réussite, souvent portées par la force des réseaux de solidarité. À Dnipro, une ancienne institutrice a ouvert un espace d’accueil pour enfants déplacés, avec l’aide du Secours Catholique, transformant l’expérience du déracinement en projet collectif. À Lviv, un groupe d’artisans a relancé un atelier traditionnel, symbolisant à la fois la préservation des savoir-faire et la reprise d’une activité économique viable.

La reconstruction psychologique demeure la tâche la plus longue. Les traumatismes accumulés, la crainte du retour du conflit, l’épuisement moral exigent du temps et un accompagnement continu. Les espaces d’écoute mis en place par la Fondation Abbé Pierre et les structures partenaires constituent des ressources précieuses, mais encore insuffisantes face à la demande croissante.

Le récit du Donbass, au fil de ces reconstructions, reste empreint de blessures mais aussi de détermination. Ce qui s’esquisse dans les centres d’accueil et les nouveaux quartiers, c’est le visage d’une population qui, malgré tout, refuse de céder à la fatalité. À chaque nouvelle pierre posée dans la lente reconstruction s’attache l’espoir tenace, partagé de génération en génération, que le futur, même incertain, puisse encore être réinventé. L’histoire des déplacés du Donbass s’écrit ainsi, jour après jour, entre pertes passées et modestes victoires sur l’adversité.

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