À Lopérec, un parfum de sciure fraîche flotte dans l’air. Les habitants du bourg l’ont remarqué : un atelier a rouvert les anciennes portes d’une grange endormie pour y faire chanter rabots, scies et maillets. Le nom inscrit sur l’enseigne, Bois Perchés, intrigue. Derrière ces deux mots, un trentenaire au regard clair, Florian Duhamel, assume le virage audacieux d’un parcours façonné dans les charpentes de la rade de Brest. Sa promesse est simple : conjuguer la précision des compagnons, l’élan coopératif de la Scop Penn ar Bât et une conscience écologique sans compromis pour bâtir, restaurer et sublimer le bois, matière vivante par excellence.
Le jeune charpentier ne débarque pas en territoire inconnu. Salarié pendant plusieurs années à Logonna-Daoulas, il a déjà posé ses lignes de faîtage sur une dizaine de toits bretons, tracé des ossatures entières et façonné des terrasses en douglas local. Aujourd’hui, avec son propre étendard, il veut aller plus loin : prouver qu’un atelier rural peut devenir un laboratoire de design durable, un lieu où dialoguent tradition et innovation, et surtout un creuset de liens entre les habitants et leur forêt.
Bois Perchés : l’envol d’un jeune atelier à Lopérec
L’annonce de la création de Bois Perchés a circulé d’abord par le bouche-à-oreille, puis sur les réseaux de l’artisanat local. Un matin de février 2025, les premiers coups de maillet résonnaient déjà quand la coopérative Penn ar Bât a officialisé l’entrée de Florian Duhamel dans ses rangs. Cette structure, née dans le Finistère il y a plus de quinze ans, fédère aujourd’hui une quarantaine de professionnels du bâtiment partageant le modèle salarial coopératif. En rejoignant la Scop, Florian a trouvé un terreau éthique et des services mutualisés tout en gardant la maîtrise de son style, élément clé de son implantation à Lopérec.
La commune, nichée aux portes des Monts d’Arrée, comptait autrefois plusieurs ateliers de menuiserie. Le départ à la retraite des anciens a laissé un vide. En s’y installant, le charpentier répond à une demande concrète : restaurer des longères éprouvées par les tempêtes atlantiques, rehausser des granges de schiste et surtout proposer des charpentes neuves pour les jeunes familles attirées par un mode de vie plus sobre. Les premières semaines ont vu défiler un flux constant de curieux. Certains voulaient simplement faire connaissance, d’autres arrivaient avec des plans griffonnés pour une mezzanine, un abri de jardin ou un escalier hélicoïdal. Ce contact direct nourrit la réactivité de l’atelier, où chaque projet donne lieu à un aller-retour permanent entre dessin à main levée et modélisation 3D.
Si Florian Duhamel a choisi l’enseigne Bois Perchés, c’est qu’il nourrit depuis l’enfance un attrait presque ludique pour la cabane. Il se souvient d’étés passés à attacher des planches aux branches des châtaigniers près de Quimerch, persuadé que l’arbre l’acceptait comme passager. Plus tard, la rencontre avec des artisans de l’entreprise Nid Perché, référence nationale des cabanes arboricoles, a renforcé cet imaginaire et lui a appris les gestes qui préservent la santé de l’arbre. Aujourd’hui encore, lorsqu’il évoque ses projets les plus atypiques, ses yeux s’éclairent : plate-forme suspendue pour un observatoire ornithologique, micro-loft perché pour télétravailleur, ou simple terrasse à cinq mètres du sol, chaque chantier explore un équilibre subtil entre portance végétale et confort humain.
L’activité ne se limite pourtant pas aux hauteurs. Au sol, Bois Perchés façonne aussi des portails et clôtures qui racontent le paysage bocager. Un client récent, installé sur la route du Faou, voulait une palissade qui laisse passer le vent tout en bloquant la vue sur une départementale. L’équipe de Florian a travaillé des lames de mélèze disposées en claire-voie inspirée des colombages anciens. Résultat : un panneau qui joue avec la lumière, réduit la prise au vent et s’intègre au talus planté de fougères. Cette approche, qui conjugue esthétique, performance et durabilité, incarne l’ADN de l’atelier.
À travers ses premiers mois d’existence, l’entreprise teste également un service original : les « portes ouvertes chantiers ». Tous les samedis, un groupe de riverains peut venir observer le travail en cours, poser des questions et parfois participer à l’assemblage d’une ferme ou au ponçage d’une balustrade. L’idée est simple : démystifier le métier de charpentier et raviver le goût du faire-soi-même. Dans un territoire où la recherche d’autonomie énergétique et alimentaire progresse, ce partage de savoir transforme la relation client-artisan en véritable collaboration.
Enfin, le modèle économique repose sur une veille technique continue. Florian suit de près les labels biosourcés, teste des isolants en fibres de chanvre cultivé dans le Morbihan et réalise des prototypes d’huisseries en pin maritime traité par thermohuilage plutôt que par produits chimiques. Chaque expérimentation est documentée, photographiée et mise en ligne sur le site boisperches.wixsite.com/boisperches afin d’alimenter une communauté de passionnés qui s’élargit bien au-delà des frontières bretonnes.
Dans les ateliers, la coupe du premier chevron marque souvent le vrai départ d’une entreprise. Pour Bois Perchés, ce moment s’est accompagné d’un engagement public : planter un arbre pour chaque chantier bouclé, en partenariat avec l’association « Plantons le Pays ». Cette promesse, modeste en apparence, témoigne de la volonté de l’équipe de réconcilier production et régénération. Car s’il y a bien une chose que Florian Duhamel répète à ses apprentis, c’est que chaque poutre porte la mémoire d’un sous-bois. Clore le cycle en reboisant est moins un argument marketing qu’un réflexe de sylviculteur responsable.
Redécouvrir la charpente traditionnelle en 2025 : gestes anciens, outils connectés
La reconstruction récente de la charpente de Notre-Dame de Paris a remis le métier de charpentier sous les projecteurs. Les images d’artisans façonnant des poutres à la hache ont rappelé que, malgré la CNC et les logiciels de calcul, la main reste l’instrument premier de la construction bois. À Lopérec, cette renaissance trouve un écho singulier. Florian Duhamel s’est formé à l’art du trait de charpente auprès d’anciens compagnons qui avaient contribué à des démonstrations publiques, comme celles organisées lors des Journées du Patrimoine où une ferme de 12 m était levée en direct sur la place d’un village.
Transposer ces gestes en 2025 suppose de jongler avec deux univers. D’un côté, la précision du piquage à la gouge, la maîtrise du compas à coulisse et l’oreille attentive qui détecte la moindre fente dans le bois vert. De l’autre, la réalité augmentée qui projette sur la pièce brute les traits de coupe, ou encore les exosquelettes légers qui soulagent le dos lors des manipulations. Bois Perchés a adopté cette hybridation sans complexe : l’atelier dispose d’un scanner 3D portable capable de mesurer une charpente existante en moins d’une heure, données ensuite importées dans un logiciel BIM. Pourtant, lorsque vient le moment de tailler l’assemblage, Florian préfère la scie japonaise et le ciseau polissoir pour garder le contrôle sur la fibre.
Le choix du matériau pose un défi. Les forêts bretonnes ne regorgent pas forcément de chênes de 14 mètres comme au Moyen Âge. L’entreprise collabore donc avec la filière locale pour sélectionner des douglas d’Auvergne, des châtaigniers du Centre-Bretagne et, plus rarement, du mélèze alpin certifié PEFC. Chaque essence répond à un usage précis. Pour une restauration, on privilégie l’analogie historique ; pour une maison neuve, on joue la carte de la performance : section calibrée, séchage contrôlé et traitement thermique naturel prolongent la durée de vie sans nuire à l’écologie.
Un chantier emblématique illustre cette démarche. Au printemps 2025, Bois Perchés a entrepris de sauver la charpente d’une grange du XVIIᵉ siècle à Saint-Rivoal. Les sablières, rongées par l’humidité, menaçaient l’effondrement. Plutôt que de remplacer l’ensemble, Florian a retenu la technique du « greffe-bois » : enlever uniquement les parties altérées pour y entailler des pièces neuves. Ce choix a réduit la quantité de matière première de 40 % et préservé l’authenticité de l’ouvrage. Les habitants, sensibles à la valeur patrimoniale, ont organisé un pique-nique lors du levage final, transformant l’opération en fête de village.
Reste la question du temps. Dans une économie pressée, l’idée de passer trois jours à affûter les outils peut sembler anachronique. Pourtant, l’atelier prouve qu’un délai bien expliqué, conjugué à des mises à jour régulières, fait accepter la cadence artisanale. Les clients reçoivent un carnet de chantier numérique où photos et commentaires sont déposés chaque soir. Ainsi, la lenteur devient lisible : on ne « retarde » rien, on révèle plutôt chaque phase, du dédoublage de la panne sablière jusqu’au rainurage final pour laisser place aux voliges.
Cette attention au détail a des retombées pédagogiques. Des lycéens d’un bac pro construction bois, invités à observer le chantier, ont découvert que derrière le mot « tenon-mortaise » se cache un système d’ancrage inspiré du squelette humain. De quoi changer leur regard sur un métier parfois caricaturé comme manuel. Le soir même, plusieurs d’entre eux ont contacté Penn ar Bât pour proposer des stages d’été. La boucle intergénérationnelle se noue ainsi, alimentée par la passion plutôt que par la théorie abstraite.
La charpente traditionnelle, loin de se figer dans la nostalgie, forme donc un vecteur d’innovation technique et sociale. Florian Duhamel le résume en une formule : « Plus le geste est ancien, plus il doit dialoguer avec notre époque ». L’équilibre se décline à chaque étape : outils connectés oui, mais sans oublier le ressenti de la main ; optimisation industrielle oui, mais avec un bois issu de forêts gérées durablement. Cette dialectique nourrit la réputation de Bois Perchés, qui ouvre déjà son agenda à un ébéniste partenaire pour développer une lignée de fermes apparentes hybrides métal-bois répondant aux défis sismiques.
Construire en ossature bois : la maison écologique nouvelle génération
Lorsque vient le moment d’ériger une habitation, l’ossature bois s’impose désormais comme une réponse pragmatique à l’urgence climatique. En 2025, le décret sur la « performance carbone » impose des seuils stricts dès la phase de dépôt de permis. Dans ce contexte, l’expertise de Bois Perchés résonne. Florian Duhamel ne vend pas seulement des murs verticaux ; il propose un système constructif global pensé pour minimiser l’énergie grise et maximiser le confort. Chaque maison commence par une rencontre sur le terrain, parfois sous une pluie fine typiquement bretonne. On observe la pente, les vents dominants, la couverture végétale. Puis on imagine une structure modulable qui anticipe les évolutions de la famille.
Le process démarre dans le hangar de Lopérec. Les montants en sapin épicéa, sélectionnés pour leur légèreté, sont pré-assemblés sur table. Florian a investi dans une presse à membrane qui permet d’incorporer un isolant semi-rigide en fibres de lin, produit à Morlaix. Ce choix, plus coûteux qu’un isolant minéral, offre un déphasage thermique supérieur et un cycle de recyclage vertueux. Une fois les panneaux fabriqués, ils sont transportés sur site pour un montage rapide, souvent en trois jours. Les voisins découvrent alors un ballet millimétré : grue compacte, clameaux en inox, sangle colorée pour ne pas abîmer le bardage déjà posé en atelier.
Ce gain de temps limite les nuisances sonores et réduit les émissions liées aux déplacements journaliers. L’impact carbone est mesuré via un logiciel open source nommé Karibati 2025, que Florian fait tourner sur une tablette. Les données alimentent un passeport numérique du bâtiment remis au propriétaire en fin de travaux. On y détaille la provenance des essences, la masse de carbone stockée dans le bois et la date à laquelle il sera théoriquement séquestré. Cette transparence séduit les banques, de plus en plus enclines à proposer un bonus taux 0 pour les constructions à faible empreinte.
Un exemple concret illustre la démarche. La famille Bernard cherchait à s’installer hors lotissement, sur une ancienne parcelle agricole. Le challenge consistait à respecter la servitude paysagère sans imiter la longère traditionnelle. Bois Perchés a conçu une maison en L, coiffée d’un toit monopente dont les pannes débordent pour créer un porche filant. Le bardage en cyprès de Lambert a été posé brut, condamné à griser naturellement au fil des saisons. À l’intérieur, des cloisons démontables en contreplaqué de peuplier permettent de transformer, d’ici dix ans, la salle de jeux en deux chambres. La maison vit déjà sa métamorphose future.
La performance énergétique résulte aussi du soin porté aux ponts thermiques. Avec une mousse biosourcée projetée en joint, le taux de fuite d’air a chuté sous les 0,4 m³/h/m² lors du test Blower Door, surpassant les exigences de la RT 2025. Parallèlement, un puits canadien en PVC recyclé fournit une pré-températion de l’air neuf, abaissant la consommation du système double flux. Ces détails techniques, souvent invisibles au premier regard, structurent la réputation de Bois Perchés dans le cercle exigeant des autoconstructeurs informés.
Mais l’ossature bois ne se limite pas à ses performances : elle révèle un potentiel esthétique. Florian collabore avec une designer lumineuse basée à Quimper pour intégrer des gorges LED en partie haute des murs, soulignant la texture du bardage intérieur. Le soir, la lumière rase épouse les nœuds du sapin, créant un spectacle chaleureux qui valorise le travail du bois. La sensation de bien-être, mesurée par un capteur d’humidité, confirme une hygrométrie stable proche de 45 %. C’est là l’avantage d’un matériau qui respire et régule naturellement le climat intérieur.
Enfin, chaque projet d’ossature se termine par une « visite sensible » où le propriétaire ferme les yeux pour écouter la maison. Ce rituel, initié par Florian, consiste à poser sa paume contre un poteau et ressentir la micro-vibration du bois. Certains y trouvent une poésie, d’autres une preuve tangible du choix du vivant. L’expérience crée un attachement émotionnel qui transforme le logement en refuge, bien au-delà de la simple valeur foncière.
Du portail au mobilier sur mesure : sublimer chaque fibre du bois local
Si la charpente impose des dimensions imposantes, le mobilier sur mesure représente pour Bois Perchés un laboratoire de miniaturisation du geste. Florian Duhamel aime rappeler que la précision se gagne lorsqu’on réduit l’échelle : un millimètre d’écart sur une table basse se voit davantage que sur un panne faîtière. Dans son showroom improvisé, une ancienne étable blanchie à la chaux, les visiteurs découvrent un ensemble d’objets qui témoignent de cette rigueur : banc sculpté dans une bille de hêtre échauffé, bureau suspendu pour télétravailleur nomade ou encore tête de lit composée de chutes d’ossature.
Chaque pièce raconte l’histoire de sa matière première. Un portail récemment livré à un couple de Quéménéven en fournit l’illustration. Les clients avaient sauvé un pin maritime tombé lors de la tempête Ciarán. Plutôt que d’expédier le tronc en déchèterie, ils ont demandé à Florian de le transformer en entrée d’atelier. Le bois, débité en plateaux puis stabilisé, révèle aujourd’hui un veinage chaleureux et un parfum résineux qui accueille les visiteurs. Le travail du bois devient ici acte mémoriel, intégrant le temps long à l’objet quotidien.
Sur le plan technique, l’atelier dispose d’une petite machine à commande numérique. Contrairement aux grands centres d’usinage industriels, celle-ci se contente d’un plateau de 120 × 240 cm. Elle suffit pourtant à graver des joints complexes, à créer des incrustations ou à réaliser des assemblages invisibles. Florian l’utilise avec parcimonie : la CNC s’occupe de la répétition ; la main finalise l’ajustement. Le résultat est palpable : un meuble TV en frêne, assemblé sans vis apparentes, affiche des chants d’un poli satiné qui rappelle la douceur d’un galet.
Le design durable, leitmotiv de l’atelier, implique également la réparabilité. Tous les mobiliers sortant de Bois Perchés sont livrés avec un carnet d’entretien. On y trouve la recette d’un encaustique maison composé d’huile de lin, de cire d’abeille et de quelques gouttes d’essence de térébenthine. Le client apprend à nourrir le bois plutôt qu’à le vernir sous une couche épaisse. Ainsi, l’objet vieillit, patine, et peut être re-poncé pour retrouver sa jeunesse. Dans une société saturée de consommation jetable, ce parti pris séduit les particuliers mais aussi des professionnels de la restauration qui cherchent à équiper leurs salles de tables évolutives.
L’impact social n’est pas en reste. Florian participe chaque trimestre à un marché de créateurs itinérant nommé « Les Mains qui Parlent ». Là, il expose non seulement ses pièces finies mais aussi les prototypes ratés, les chutes et les gabarits. Un geste de transparence qui révèle le processus créatif, ses errements et ses trouvailles. Les discussions qui en découlent débouchent parfois sur des co-conceptions. Une lampe articulée, imaginée avec une apprentie graphiste, est devenue best-seller en ligne, prouvant que l’artisanat peut dialoguer avec le numérique sans se renier.
L’atelier propose en parallèle un service de « diagnostic mobilier ». Il consiste à visiter les greniers et hangars des particuliers pour identifier les pièces en sommeil : buffet en chêne fendu, porte intérieure condamnée ou plan de travail taché. Chaque objet est évalué pour un éventuel upcycling. Cette démarche limite le recours au bois neuf, renforce l’économie circulaire et contribue à une écologie du patrimoine quotidien. Les habitants redécouvrent qu’une simple porte à panneaux peut devenir plateau de table, et qu’une voûte d’ancienne charpente peut se transformer en étagère suspendue.
En conclusion – ou plutôt, pour ouvrir de nouveaux horizons – cette facette de Bois Perchés exprime l’ambition de l’entreprise : ne pas cantonner le bois à la structure mais l’inviter dans chaque geste domestique. Qu’il s’agisse d’une rampe d’escalier glissant sous la paume ou d’un miroir incrusté dans une planche d’aulne, chaque création prolonge le fil du travail du bois entamé sur les toits. L’atelier de Lopérec s’est ainsi imposé comme un passeur entre macro-charpente et micro-design, entre monumental et intime.
Un design durable pour un territoire vivant : perspectives 2030
Penser le futur lorsque l’on façonne un matériau millénaire peut paraître paradoxal. Pourtant, Florian Duhamel revendique cette projection. Il évoque souvent l’horizon 2030, non comme date butoir, mais comme point de repère pour mesurer l’impact de ses choix actuels. L’une de ses ambitions porte sur la création d’un micro-cluster réunissant forestiers, scieurs, architectes et enseignants. L’idée est d’implanter à Lopérec un pôle d’expérimentation autour de la construction bois, capable de tester des essences indigènes, de développer des finitions naturelles et de partager les résultats en open source.
L’écologie prend ici un sens systémique. Au-delà de la séquestration de carbone, le design durable vise la régénération des écosystèmes humains. Ainsi, chaque chantier devrait générer des heures de formation pour des jeunes en insertion, des journées découverte pour des écoles primaires et des retombées économiques pour les commerces locaux. Cette vision trouve un premier essai dans le projet « Sentier des Savoirs », qui reliera, sur cinq kilomètres, le cœur du bourg de Lopérec à une parcelle forestière pédagogique. Les visiteurs suivront un parcours jalonné d’installations bois expliquant le cycle sylvicole, la faune associée et la transformation du matériau jusqu’à l’atelier.
Les partenariats internationaux ne sont pas exclus. Inspiré par les artisans américains mobilisés pour la reconstruction de Notre-Dame, Florian envisage un échange de compagnons avec un atelier de l’État de New York. Objectif : croiser les techniques de charpente lourde en pin blanc avec les assemblages bretons en châtaignier. Cette passerelle culturelle renforcerait la résilience du métier face aux évolutions climatiques, car elle multiplierait les retours d’expérience sur les essences plus adaptées à des étés secs ou à des hivers tempétueux.
Sur le plan technologique, l’atelier prévoit d’intégrer une imprimante 3D à base de fibres de cellulose. Cette machine, encore à l’état de prototype, construirait des moules pour le béton de chanvre ou des pièces de connexion complexes. Elle permettrait de réduire l’usage de métal tout en maintenant une solidité équivalente. Ici encore, l’équilibre est recherché : le high-tech se met au service de la matière brute, sans la remplacer.
La question énergétique figure également au cahier des charges. Bois Perchés négocie l’installation de panneaux photovoltaïques bifaciaux sur le toit du hangar. Combinés à une batterie sodium-ion, ils devraient couvrir 85 % des besoins de l’atelier. Le reste serait fourni par un contrat d’électricité 100 % bretonne, issue de l’hydroélectricité du barrage de Brennilis. L’objectif affiché est de devenir le premier charpentier à énergie positive du Finistère intérieur. Au-delà du symbole, cette autonomie permettrait d’absorber les pics de consommation des machines sans recourir à des groupes électrogènes polluants lors des chantiers isolés.
Mais le plus grand défi reste humain. Recruter, former et retenir des talents dans un milieu rural demande un projet collectif. Florian travaille déjà avec la mairie pour aménager deux logements passerelles destinés aux apprentis. Il accompagne cette initiative d’un programme de mentorat mêlant ateliers de théâtre et stages de grimpe d’arbres. Le but est de tisser un réseau d’entraide où les jeunes charpentiers se sentent acteurs d’une aventure partagée plutôt que simples exécutants. Les premiers retours sont prometteurs : sur cinq apprentis accueillis en 2024-2025, quatre envisagent de s’installer durablement dans la région.
Dans l’esprit de Bois Perchés, l’avenir de Lopérec ne se joue pas uniquement sur les chantiers. Il se forge à la lisière des forêts, dans les salles communales où l’on débat de plan local d’urbanisme, et dans les cafés où l’on refait le monde autour d’un bolée de cidre. Le design durable devient alors moteur de citoyenneté. Chaque projets d’abri bus ou de banc public, confié au charpentier du village, consolide l’idée qu’il est possible de conjuguer qualité, respect du vivant et sens de la communauté.
À ceux qui lui demandent quand il compte ralentir, Florian répond qu’un arbre ne cesse jamais vraiment de pousser ; il s’adapte à la lumière, modifie son architecture, mais continue d’élever sa cime. À l’image de cet organisme vivant, Bois Perchés entend rester en mouvement, prêt à saisir les enjeux de demain, à transformer les contraintes en beauté et à rappeler que, dans un monde numérique, le simple craquement d’une planche sous le soleil reste une promesse d’avenir.