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Shlomo Mantzur, 85 ans : l’histoire d’un charpentier légendaire originaire de Bagdad au cœur du kibboutz

Né à Bagdad et ayant traversé les bouleversements du XXe siècle, Shlomo Mantzur demeure plus qu’un simple nom dans la mémoire israélienne. Charpentier virtuose et survivant du Farhud, ce pogrom antisémite en Irak, il a forgé sa légende dans l’intimité du kibboutz Kissufim, marquant d’une empreinte indélébile la culture israélienne et l’artisanat local. Figure discrète mais centrale, il incarne à lui seul l’histoire d’un héritage transmis, celui d’une diaspora juive pétrie d’espoirs, de traditions manuelles, d’attachement à la terre, et aussi d’épreuves traversées avec dignité. L’histoire de Shlomo Mantzur, en 2025, traverse les grands chapitres de la région, tout en révélant la force d’une communauté soudée autour de ses figures tutélaires.

De Bagdad au kibboutz Kissufim : l’itinéraire d’un charpentier survivant

La vie de Shlomo Mantzur s’origine dans la vieille ville de Bagdad, où il voit le jour en 1939. Sa famille, juive, subit de plein fouet les violences du Farhud en 1941. Dans cette nuit tragique inscrite dans la mémoire collective, la communauté juive de Bagdad bascule dans la terreur. Miraculeusement, la famille Mantzur survit, mais l’idée de partir ne cesse de croître. Ce traumatisme façonne l’enfance du jeune Shlomo, alors âgé tout juste de 2 ans, et l’inscrit dans une histoire familiale teintée de résilience et d’espérance.

L’exode est aussi un trajet de réinvention. Arrivés en Israël en 1952, Shlomo, ses parents et ses six frères et sœurs rejoignent une société en ébullition, encore marquée par la création du pays. Il n’a que 13 ans et découvre le modèle du kibboutz, économique et socialement révolutionnaire pour l’époque. C’est à Kissufim qu’il s’installera définitivement, trouvant dans ce collectif la promesse d’une terre d’accueil et le cadre de sa future légende en tant que charpentier.

Dès son arrivée, il se distingue par une curiosité insatiable, une soif d’apprendre et une habileté rare avec le bois. Sous la tutelle d’un maître-artisan, il fait ses classes dans l’atelier du kibboutz. C’est là qu’il va façonner meubles, portes en cèdre, structures agricoles et équipements, participant à la construction et à la consolidation de l’infrastructure locale. Son engagement y fait merveille et s’accompagne d’une implication profonde dans la transmission des gestes de l’artisanat à la génération suivante.

Figure centrale, Shlomo Mantzur devient pour beaucoup le gardien des savoirs manuels hérités de Bagdad tout en les adaptant au contexte israélien. Sa double appartenance, orientale et sabra, nourrit sa créativité en même temps qu’elle façonne l’esprit du kibboutz. Cette hybridation culturelle se retrouve dans chaque pièce produite dans son atelier, qu’il s’agisse de meubles de réunion, de portes minutieusement sculptées ou de jouets traditionnels offerts aux enfants lors des fêtes collectives.

L’empreinte de Shlomo Mantzur sur Kissufim ne se limite pas à ses œuvres tangibles. Sa vision d’un artisanat pourvoyeur de lien social irrigue la vie communautaire : chaque chantier collectif durant les années 60 et 70, chaque rénovation du réfectoire ou des salles communes, porte la marque de son engagement. Même après sa retraite, il continue d’arpenter l’atelier, transmettant conseils et techniques aux jeunes générations, s’impliquant dans la préservation d’un certain idéal : celui d’un monde où la main et l’esprit ne font qu’un.

À travers cette trajectoire, Shlomo Mantzur illustre tout le souffle d’une immigration porteuse de traditions réinventées. Entre les souvenirs de Bagdad et le présent du Néguev, il incarne la synthèse de l’histoire juive orientale et de l’utopie kibboutzique, unissant savoir-faire artisanal et solidarité communautaire dans une synergie exemplaire. Le prochain chapitre de sa vie, ancré dans l’artisanat et l’éducation, révèle combien il était devenu une légende locale, bien au-delà de la simple figure de menuisier.

L’artisanat comme mémoire vivante : héritage et tradition au cœur du kibboutz Kissufim

L’œuvre de Shlomo Mantzur n’est pas simplement une succession d’objets manufacturés : elle s’apparente à une mémoire collective incarnée dans le bois, la pierre et la transmission orale. Au fil des décennies, il est devenu évident, au sein de Kissufim, que la force du charpentier tenait à son étonnante capacité à faire du passé un moteur pour l’avenir.

Dans les ateliers du kibboutz, Shlomo s’est imposé non seulement comme un expert technique mais également comme un pédagogue. Chaque pièce façonnée était l’occasion d’enseigner une tradition importée de Mesopotamie, adaptée aux réalités du désert israélien. Par exemple, il appliquait encore des techniques de tenons et mortaises héritées de son père et de ses ancêtres, témoins d’un artisanat multi-séculaire.

Lors des fêtes collectives, il animait des ateliers où les plus jeunes découvraient la coupe du bois, le polissage à la main, la patience nécessaires à la confection d’une simple balançoire ou d’un banc collectif. Ces gestes, banals à première vue, devenaient symboliques : ils incitaient au respect de la matière, au partage du savoir et à la cohésion du groupe, valeurs fondamentales de la tradition kibboutzique.

L’impact de Shlomo sur la culture israélienne ne doit pas être sous-estimé. Dans une société parfois pressée d’embrasser la modernité, il a su démontrer que l’innovation pouvait coexister avec la valorisation du patrimoine. Sa participation à des expositions nationales sur l’artisanat juif traditionnel, ou encore la restauration de synagogues locales endommagées par le temps, témoignent de cette volonté de pérenniser un certain art de vivre.

Il a, au fil des ans, rassemblé un cercle de disciples informels, désormais eux-mêmes reconnus dans la région pour leur maîtrise du bois, leur sens aiguisé du détail, et surtout leur fidélité aux valeurs transmises par Shlomo. Certains décrivent même son atelier comme un sanctuaire : un endroit où chaque outil a une histoire, chaque étagère une symbolique, où la poussière du temps ne voile jamais la mémoire du geste répété.

De nombreux enfants aujourd’hui adultes se souviennent avec émotion de ces moments de transmission : le premier rabot tenu dans la main, les récits de Bagdad mêlés aux anecdotes du Kibboutz, et la fierté d’offrir une création au collectif. C’est ainsi que l’artisanat incarné par Shlomo Mantzur a permis à la tradition de franchir les générations, consolidant par la même l’identité du kibboutz Kissufim et liant l’histoire individuelle à celle de tout un peuple.

La tragédie du 7 octobre 2023 : l’enlèvement et la mémoire de Shlomo Mantzur

Le 7 octobre 2023 restera, dans la mémoire des habitants du kibboutz Kissufim, comme un jour sombre. Ce matin-là, alors que le Shabbat s’annonçait paisible, des commandos du Hamas ont fait irruption, semant le chaos et l’effroi. Shlomo Mantzur, 85 ans, paisiblement installé dans sa maison, est arraché à ses proches pour devenir l’une des figures les plus marquantes du conflit : le plus vieil otage israélien capturé à Gaza.

Cet événement bouleverse la communauté, qui perd non seulement un pilier de sa vie sociale et culturelle, mais aussi l’un des derniers grands témoins d’une époque révolue. Dans les heures qui suivent, la nouvelle de son enlèvement se répand, ravivant la solidarité du kibboutz et bien au-delà, jusqu’aux médias internationaux. L’image de Shlomo, assis à son établi ou partageant un moment avec ses petits-enfants, contraste cruellement avec celle, inquiétante, d’un otage âgé retenu loin de chez lui.

La souffrance de l’enlèvement ne se limite pas à l’entourage immédiat. Pour l’ensemble d’Israël, Shlomo Mantzur incarne une génération qui a connu l’exil, les pogroms, la construction d’un État et les espoirs d’une paix jamais totalement réalisée. Sa captivité à Gaza, où son corps a été détenu après son assassinat lors de l’assaut, devient un symbole du conflit israélo-palestinien, mais aussi de la complexité des histoires individuelles emportées par la grande Histoire.

Des commémorations spontanées voient le jour à Kissufim : des veillées, des expositions de ses œuvres, des projections de documentaires sur son parcours. Cet hommage collectif souligne à quel point le charpentier de Bagdad avait su fédérer, bien plus que sa seule famille. L’atelier, resté intact, devient un lieu de recueillement autant que de passage pour les jeunes du kibboutz, venus s’inspirer de l’esprit du maître disparu. En 2024, lors de la Journée nationale du souvenir, la commune de Kissufim consacre une exposition à son travail, mettant en scène la magnifique maquette « Butterfly Glasses » qu’il avait laissée inachevée. Cette métaphore d’un envol interrompu résonne douloureusement au cœur de la communauté.

La disparition de Shlomo Mantzur invite à repenser la notion d’héritage. Plus qu’un legs matériel, il a laissé une trace indélébile dans la philosophie du kibboutz : celle de l’endurance face à la violence, de la préservation du geste artisanal et du choix de la transmission. Ainsi, la notoriété acquise malgré lui à travers les médias internationaux n’altère en rien la dimension profondément humaine de son parcours, ni l’attachement viscéral de ceux qui l’ont connu ou admiré.

Transmission de la légende de Shlomo Mantzur et impact sur la culture israélienne

Il arrive que certaines existences changent le visage d’une communauté et, dans le cas de Shlomo Mantzur, cette réalité prend toute son ampleur. Sa légende se perpétue aujourd’hui par des récits racontés lors des fêtes familiales et des rassemblements du kibboutz, rendant omniprésent le souvenir du charpentier de Bagdad devenu figure emblématique d’Israël. L’importance de cette transmission réside avant tout dans la manière dont l’histoire individuelle est intégrée à la mémoire collective nationale.

Des documentaires à la littérature jeunesse, en passant par des pièces de théâtre scolaires, le parcours de Shlomo Mantzur est adapté, raconté, mis en scène pour toucher toutes les générations. Les enfants du kibboutz apprennent l’hébreu à partir de petites histoires puisées dans sa vie, représentant ainsi une nouvelle tradition pédagogique qui puise dans la réalité du vécu pour renforcer l’identité collective. Ces histoires, mêlant humour, drame et dignité, contribuent à ancrer la place de Shlomo dans la culture israélienne bien au-delà du cercle de Kissufim.

La présence de ses œuvres dans de nombreuses maisons et bâtiments publics est également un témoignage tangible de son influence. Les portes sculptées du réfectoire, la grande table de réunion du conseil, les meubles colorés de la crèche incarnent physiquement son empreinte. Certains objets, devenus patrimoniaux, sont désormais exposés dans des musées d’histoire juive et d’artisanat. Lors de visites guidées, de nombreux touristes venus du monde entier découvrent à travers ses réalisations une facette originale de la tradition juive orientale, hybridée par l’expérience du kibboutz.

Le choix de Shlomo d’enseigner à tous ceux qui le désiraient, sans distinction d’origine ni d’âge, rappelle l’idéal fondateur du pays : unité dans la diversité. À l’aube de 2025, ce message prend d’autant plus de force que la société israélienne traverse des temps incertains et cherche des figures de référence capables de rassembler. En ce sens, Shlomo Mantzur est devenu un point d’ancrage moral et symbolique, rappelant que tradition et ouverture, transmission et évolution ne s’opposent pas mais s’enrichissent mutuellement.

Les médias n’ont pas manqué de souligner cette dimension, notamment après l’exposition de sa maquette « Butterfly Glasses » à Londres, à l’occasion de la Journée de commémoration de l’Holocauste. Cet événement, relayé internationalement, a permis de repositionner l’histoire du charpentier non seulement dans le cadre national, mais également dans le contexte plus large du patrimoine juif diasporique. Les ambassadeurs culturels, chercheurs et artistes, s’emparent désormais de la figure de Shlomo pour illustrer la résilience et la créativité d’une culture israélienne au croisement des mondes.

Le kibboutz Kissufim : un creuset pour l’héritage de Shlomo Mantzur et la résilience communautaire

Si l’histoire de Shlomo Mantzur s’est ancrée dans Kissufim, ce n’est pas le fruit du hasard. Le kibboutz occupe une place singulière dans le tissu social israélien, catalysant à la fois la préservation d’un héritage et l’innovation collective. L’engagement du charpentier a contribué à façonner l’identité de cette communauté, qui continue aujourd’hui de perpétuer ses valeurs malgré les tragédies traversées.

La mémoire de Shlomo irrigue les activités du kibboutz : expositions thématiques, restaurations d’anciens bâtiments et ateliers pour enfants s’inscrivent dans le prolongement de son œuvre. Les membres actuels, dont certains ont été formés par lui, structurent désormais la vie locale autour de son exemple, assurant la continuité d’un savoir-faire et d’une éthique de vie axée sur la solidarité, la simplicité et la beauté du geste.

L’atelier de charpente, autrefois modeste, est devenu le cœur battant du kibboutz, un lieu de passage où se croisent anciens et nouveaux venus, Israéliens et volontaires internationaux. Les œuvres de Shlomo, souvent restaurées avec soin, jalonnent les espaces communs : bancs au bord des champs, sculptures animalières en bois évoquant la faune du Néguev, cabanes pour enfants nichées près des vergers. Toutes racontent à leur manière la capacité d’un homme à façonner, à relier et à inspirer.

Le kibboutz Kissufim, confronté à des épreuves majeures – guerre, crises économiques, drames familiaux – s’est trouvé dans la figure de Shlomo un guide discret. Sa vie, partagée entre le souvenir de Bagdad, la pratique de l’artisanat et l’appartenance à un projet collectif, continue d’animer l’imaginaire des plus jeunes, tout en fédérant autour d’un héritage commun qui transcende les générations.

À l’heure où de nouvelles générations s’interrogent sur le sens du collectif, la légende de Shlomo Mantzur offre une boussole précieuse. Elle rappelle que la richesse d’un peuple ne se mesure pas seulement à ses innovations technologiques, mais aussi à sa capacité à préserver, enrichir et transmettre un patrimoine fait de gestes, de récits et d’aspirations partagées. Ainsi se perpétue, au cœur du kibboutz, bien plus qu’un simple souvenir : une force vive, inscrite dans chaque planche façonnée, chaque fête célébrée, chaque vie marquée par sa rencontre.

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