Au cœur d’Alençon, un établissement fait battre le pouls littéraire de la commune depuis des décennies : la librairie Le Passage. Figure du centre-ville, elle cristallise bien plus que la vente de livres : c’est un repaire culturel, un point d’ancrage pour des générations de lecteurs, d’étudiants, d’enfants et d’auteurs. À l’annonce du départ à la retraite d’Évelyne Charpentier, figure emblématique de la librairie, ainsi que des difficultés économiques rencontrées par l’établissement, c’est tout le patrimoine alençonnais qui tremble et se mobilise. Ce récit mêle mémoire, défis du commerce indépendant, et questionnements sur l’avenir du livre au centre des cités. Entre histoires de fidélité, passion pour la littérature, et incertitudes économiques, la fermeture éventuelle ou la réinvention de ce Passage devient l’affaire de tous à Alençon.
Librairie Le Passage à Alençon : cœur patrimonial de la commune
Nichée dans un passage piétonnier du centre historique d’Alençon, la librairie Le Passage ne se contente pas de vendre des livres : elle enracine l’esprit de la littérature au sein de la commune. Depuis plus de quarante ans, elle accompagne habitant·e·s et visiteurs, proposant un choix sans égal de romans, bandes dessinées, polars, ouvrages jeunesse ou encore livres scolaires. C’est là qu’Évelyne Charpentier, libraire dévouée, a bâti une relation unique avec des milliers de lecteurs, écoutant, conseillant, transmettant son amour de la culture et du patrimoine écrit.
Dans le paysage local, Le Passage a toujours incarné l’emblématique résistance des librairies indépendantes face aux grandes chaînes et aux mutations numériques. L’entrée du Passage, fleurie de vitrines soignées et de coups de cœur du personnel, symbolise la permanence d’un commerce à dimension humaine. Des anecdotes affluent : comme ce client qui retrouve chaque an le même roman pour offrir à son petit-fils, ou cet écrivain régional venu y signer ses premiers exemplaires. L’équipe, formée au fil des années, connaît bien les familles : chaque histoire personnelle se mêle à celle d’un livre recommandé pour un anniversaire, un examen ou une découverte inattendue.
La librairie n’est pas qu’un espace marchand, elle s’inscrit comme un site de patrimoine vivant de la commune. Quand l’école voisine vient pour une heure littéraire, l’ambiance rappelle la vitalité de la culture locale. Chaque rencontre d’auteur, chaque atelier d’écriture, vient tisser un lien entre le Passage et les générations. C’est dans cette atmosphère de confiance et de connivence que s’ancre la réputation de la librairie : on ne vient pas seulement y acheter un livre, mais partager une expérience, cultiver la mémoire et célébrer la diversité de la littérature.
Ce rôle transversal, la librairie Le Passage le cultive sur le long terme. Le local, avec ses boiseries, ses recoins tranquilles et son odeur familière de papier, incarne une part de l’histoire d’Alençon. À l’heure où la ville cherche à maintenir son attractivité, chaque rue commerçante redoute la disparition d’une enseigne culturelle aussi emblématique. Pour toute une génération, l’éventualité d’une fermeture ou d’une transformation du Passage évoque une crainte : celle de voir se déliter le tissu culturel qui fait la richesse de la commune. Comment alors continuer à transmettre ce patrimoine littéraire, cet esprit de partage et de curiosité, sans lieux comme Le Passage ?
Évelyne Charpentier : une vie dédiée à la littérature
La librairie tire sa célébrité non seulement de ses ouvrages, mais aussi des personnalités qui l’ont incarnée. À ce titre, Évelyne Charpentier fait figure de pilier. Depuis quarante et un ans, cette Alençonnaise a mis sa passion et son attention au service des lecteurs. Sa présence derrière le comptoir, sa connaissance pointue de la littérature contemporaine comme des classiques, ont marqué d’innombrables habitués. Elle se souvient du jeune lycéen devenu écrivain, des familles venues chercher conseils durant les concours de lecture, ou encore de ces moments intimes où la recherche d’un livre rare devient une quête partagée.
Son départ résonne comme une page qui se tourne, non sans émotion. Les témoignages affluent : « On va tellement la regretter », « Grâce à elle, j’ai découvert le goût de la lecture », disent les clients fidèles. La retraite d’Évelyne, c’est un peu l’histoire d’Alençon qui s’écrit, entre nostalgie et reconnaissance.
Prochaine étape : comprendre les causes profondes qui fragilisent la pérennité de ce type de librairie en 2025, et comment celles-ci s’inscrivent dans le contexte plus large de la culture du livre.
Les défis des librairies indépendantes face aux mutations économiques et culturelles
Le Passage, comme tant d’autres librairies emblématiques en France, traverse une période cruciale. Le 3 mars 2025 a marqué une étape importante : la librairie a été placée en redressement judiciaire, un choix assumé par son propriétaire Pierre Lenganey. Cette décision, loin de signifier la fin immédiate de l’aventure, vise à trouver un second souffle face à une conjoncture particulièrement tendue pour la filière du livre indépendant.
Depuis plusieurs années, les librairies de centre-ville subissent une double pression : celle de la concurrence des géants du e-commerce aux promotions séduisantes et celle d’un changement d’habitudes de consommation. À Alençon, ville moyenne, l’évolution démographique, la montée du numérique, et les transformations urbaines modifient radicalement la fréquentation des commerces de proximité. Mais la librairie Le Passage reste unique : elle représente la seule grande librairie en centre-ville, un atout et une fragilité à la fois.
Les raisons de la vulnérabilité sont multiples. Les marges sur le livre sont réglementées par la loi, limitant les leviers économiques. Les charges fixes – loyers, salaires, frais de distribution – pèsent davantage lorsque la clientèle se raréfie ou que les périodes de crise (pandémie, inflation) fragilisent la consommation culturelle. À cela s’ajoute l’évolution des loisirs, la concurrence de contenus numériques gratuits et la difficulté de renouveler une clientèle plus jeune. Les librairies doivent se réinventer : organiser plus d’évènements, développer des rayons spécialisés, investir dans des plateformes de vente en ligne… sans jamais perdre leur âme.
La situation du Passage est exemplaire : mise en vente pour permettre une reprise, l’entreprise garde ses horaires et ses activités afin de rassurer clients comme partenaires. L’idée n’est pas d’accélérer la fermeture, mais de permettre une transition sereine, en espérant attirer un repreneur soucieux du patrimoine et de la culture locale. Ce modèle hybride – entre gestion rigoureuse et volonté de maintenir un pôle culturel – est observé par de nombreuses communes françaises.
Face à l’annonce du redressement judiciaire, la mobilisation citoyenne s’est fait entendre. Deux habitants d’Alençon, Rémi David et Claudie Launoy, ont lancé un appel pour sauver la librairie, estimant qu’elle joue un rôle phare pour la ville. Leur plaidoyer vise à rappeler le poids des librairies dans la vitalité des centre-villes et à encourager d’éventuels repreneurs à maintenir un haut niveau d’exigence culturelle.
Les prochaines semaines se révèlent cruciales : la littérature locale observe avec attention l’évolution du dossier et le sort d’Évelyne Charpentier émeut bien au-delà des frontières de la commune. La question posée : comment pérenniser le Passage et, derrière lui, le modèle des librairies indépendantes, garantes de la diversité culturelle ?
Stratégies et alternatives à la fermeture des librairies historiques
Si la fermeture d’une librairie emblématique suscite l’émoi, elle n’est jamais inéluctable. À travers la France, plusieurs enseignes ont trouvé de nouveaux relais de croissance : diversification des activités, développement d’espaces de rencontre, partenariats avec les acteurs culturels locaux. À Alençon, l’enjeu principal demeure la transmission de ce patrimoine : impliquer les écoles, attirer des jeunes lecteurs, redonner le goût du livre papier à l’heure du tout-numérique. L’idée d’une société coopérative locale ou d’un financement participatif est régulièrement évoquée, afin de permettre à la communauté de s’approprier le destin du Passage.
L’accompagnement des institutions est également capital. Les collectivités, conscientes du rôle d’attractivité joué par ce type de commerce, examinent différentes options pour soutenir les librairies en difficulté. À Alençon, la mobilisation est forte et les discussions se multiplient sur l’opportunité de subventions, de facilitation de la transmission et de soutien logistique pour maintenir le Passage comme un pôle culturel de la ville. La filière du livre doit sans cesse se réinventer, mais toujours autour d’un socle : la passion du livre, l’ancrage local et la volonté de transmettre.
Ce passage de témoin pourrait bien, paradoxalement, constituer une chance pour la librairie. À condition de s’adapter, de renouveler son public et de consolider ses partenariats, Le Passage pourrait continuer à incarner, pour Alençon, un patrimoine vivant et dynamique.
On retrouve ainsi au cœur du débat toute la question du rapport à la culture et à la vie des communes. Le Passage, symbole à la fois de mémoire et d’avenir, s’invite dans la réflexion collective sur le maintien d’un tissu culturel riche et ouvert.
Quand la librairie devient le moteur de la vie culturelle et citoyenne
La librairie Le Passage n’est pas un simple commerce : elle s’impose comme un carrefour des cultures et des générations. À intervalles réguliers, elle accueille des rencontres avec des écrivains, des dédicaces, des lectures publiques qui donnent du rythme à la vie alençonnaise. Cette dimension événementielle, essentielle en 2025, renforce le sentiment d’appartenance à la communauté et valorise le patrimoine local.
La dimension pédagogique du Passage prend souvent le dessus : participation à des festivals littéraires, accueil de classes primaires pour la première découverte du roman d’aventure, collaboration avec les établissements scolaires pour des prix littéraires ou des lectures partagées. Le Passage fonctionne en relais : il met en valeur les auteurs locaux, fait découvrir les actualités nationales et permet à chacun de s’approprier les grands courants de la littérature française et étrangère.
Des exemples concrets abondent. Lors des Journées du Patrimoine, enfants et adultes arpentent les rayons à la recherche d’anecdotes sur l’histoire de la ville. Pour la Nuit de la lecture, le Passage orchestre des veillées autour des nouvelles voix du roman contemporain. Dans chaque coin, la passion du livre se transmet et se nourrit du dialogue avec la commune.
Ce rôle dépasse le champ strict de la littérature. Discussions sur l’actualité, débats autour du patrimoine local, réflexion sur la place du livre aujourd’hui : toutes ces initiatives font du Passage un lieu d’éveil citoyen. Pour les habitants, s’engager pour la librairie revient à défendre une certaine idée de la commune, où la culture est à la fois lien social et ferment d’identité. Difficile alors de dissocier la soif de lecture de la volonté de préserver un patrimoine culturel collectif, pierre angulaire de la vitalité urbaine.
La librairie Le Passage est ainsi la preuve vivante que le livre n’est jamais un produit comme un autre. Il porte une vision du monde et du vivre-ensemble, il connecte chaque génération à des héritages et à des ambitions nouvelles. Chaque initiative, chaque projet mené entre ces murs s’inscrit dans cette tradition, tout en ouvrant la voie à des formes innovantes de médiation culturelle.
Mobilisation sociale et transmission : l’exemple alençonnais
Face à la menace de fermeture, la mobilisation à Alençon prend des formes variées : pétitions, lettres ouvertes, implication d’anciens libraires ou d’écrivains locaux. Le Passage devient le centre d’un débat qui dépasse largement la simple question commerciale pour réaffirmer l’importance d’un écosystème culturel de proximité. À travers ces dynamiques, la librairie apparaît comme un laboratoire citoyen pour la sauvegarde du patrimoine, l’éducation à la littérature et la défense du modèle des indépendants en 2025.
L’attachement populaire ne faiblit pas, et certains avancent déjà l’idée de transformer la librairie en coopérative ou de la relancer sous une autre forme participative. Si l’histoire du Passage inspire, c’est parce qu’elle est aussi celle de centaines de librairies iconiques menacées par le contexte économique, mais soutenues par la volonté d’une population qui croit que la culture reste fondamentalement partagée. Du livre aux rencontres, du conseil à la médiation, autant d’actes quotidiens tissés au fil des pages et des années.
La dynamique alençonnaise témoigne de cette capacité de résilience, de renouvellement et de transmission. Demain, la librairie Le Passage pourrait écrire un nouveau chapitre, fort du soutien de la commune et de l’engagement de tous pour sa sauvegarde.
L’avenir du Passage : transmettre, réinventer et préserver le patrimoine alençonnais
La question qui traverse désormais Alençon est celle du devenir de la librairie : comment prolonger l’héritage du Passage sans trahir son identité ? Plusieurs pistes s’offrent à la commune et à ses acteurs culturels. D’abord, privilégier une reprise par des personnes attachées au sens du lieu, capables de maintenir la diversité de l’offre et de préserver l’esprit du commerce indépendant. Ensuite, renforcer l’ancrage éducatif et culturel de la librairie, en multipliant les partenariats avec écoles, bibliothèques et associations locales. La transmission du flambeau ne se limite pas à une gestion commerciale, elle impose une vision pour continuer à faire vivre la littérature sous toutes ses formes.
La transformation numérique, souvent vue comme une menace, peut aussi être un levier. Le Passage pourrait investir des outils de réservation en ligne, proposer des commandes personnalisées ou des événements hybrides mêlant présentiel et digital. Ces stratégies sont déjà à l’œuvre dans d’autres villes de taille similaire et permettent d’étendre l’influence de la librairie au-delà de la commune, tout en restant fidèle à sa mission de proximité et de conseil. L’idée n’est pas de sacrifier la chaleur du contact humain, mais de la prolonger grâce aux technologies adaptées. Le patrimoine littéraire est vivant : il évolue avec les pratiques, les envies et les moyens d’accès des lecteurs.
Le destin du Passage inspire des réflexions sur la place du livre, de la culture et du commerce dans la ville contemporaine. À l’aube d’une nouvelle ère, la librairie reste emblématique du défi qui attend nombre de communes : préserver une identité forte tout en innovant sur les modes de transmission. À cette croisée des chemins, Alençon se tient prête à écrire, collectivement, les prochains chapitres d’une aventure littéraire qui n’a pas dit son dernier mot.